L’art de faire rire serait-il notre meilleur ambassadeur à l’étranger ? La Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB) et Wallonie-Bruxelles International (WBI) se sont associés l'année dernière à la Fédération Belge des Professionnels de l’Humour (FBPH) pour offrir à de jeunes talents la chance de se produire à Paris. Quelques mois plus tard, les organisateurs mettent le cap sur Kinshasa et réitèrent l’opération. Retour sur deux formidables aventures humaines qui créent du lien et ouvrent les horizons de la génération montante des humoristes wallons et bruxellois.
Des Frères Taloche à Bruno Coppens ou Philippe Geluck. D’Alex Vizorek à Guillermo Guiz, Virginie Hocq et d’autres encore. Ces dernières décennies, plusieurs générations successives d’humoristes belges ont rempli les salles dans et hors de nos frontières, forgeant ainsi une belle reconnaissance internationale pour l’humour d’ici.
Entretien avec Vincent Counard, alias Taloche, artiste, producteur mais aussi président de la toute jeune Fédération Belge des Professionnels de l’Humour (FBPH).
Quel est votre bilan après ces deux premières éditions des Turbulences organisées successivement à Paris et Kinshasa ?
Tant à Paris qu’à Kinshasa, c’est une très belle réussite. Tant le milieu professionnel que les publics ont répondu présent. Il s’agissait d’une très grosse opération qui a demandé beaucoup de travail et d’organisation. Mais le résultat va au-delà de nos attentes et l’expérience est formidable. Les quelques jours passés à Kinshasa m’ont convaincu qu’il y a une richesse énorme dans ces échanges et dans la rencontre entre artistes belges et congolais. Dans une prochaine étape, je souhaiterais les faire venir en Belgique lors du prochain Festival de l’humour de Liège. La prestation incroyable qu’ils ont faite sur scène, pour ce que j’en ai vu, montre que l’envie de faire rire est très large. Il y a une belle énergie sur le continent africain.
Vous donnez aujourd’hui beaucoup de votre personne au service de la reconnaissance de la profession en Fédération Wallonie-Bruxelles et êtes l’un des initiateurs de la FBPH. Quel rôle joue-t-elle ? Et à quels enjeux êtes-vous confrontés ?
C’est encore vraiment un bébé (rires) mais la Fédération compte déjà 170 membres, depuis des artistes confirmés comme Virginie Hocq jusqu’au jeune qui démarre. Elle est là pour représenter toutes les formes d’humour. Nous l’avons lancée en 2020, au moment de la Covid. À la suite des annulations de spectacles, de nombreux artistes m’appelaient, étonnés du manque d’aide pour le secteur. Nous nous sommes rapidement aperçus qu’il n’y en avait pas pour les humoristes alors que tous les secteurs étaient aidés. Nous étions simplement hors radar ! Nous avons alors entamé une bataille pour être reconnus et entendus. Aujourd’hui, nous avons une voix qui compte au niveau de la politique culturelle. L’art de l’humour est pris au sérieux et la situation a évolué. Nous sommes ainsi représentés au sein de la Chambre de Concertation des Arts vivants.
La Fédération est là pour structurer et mettre encore davantage le secteur en réseau comme le fait par exemple la Fédération des Arts forains ou du Conte. C’est aussi grâce à ce dialogue avec les pouvoirs subsidiant qu’est née l’opération des Turbulences belges. L’initiative a vu le jour avec le soutien et à la demande du Ministre-Président de la FWB, Pierre-Yves Jeholet.
Aujourd’hui, les idées sont là mais nous n’avons pas encore assez de moyens humains pour mener de nombreux projets de front. Par exemple, là, pour Avignon, nous allons également voir au sein de notre Fédération si nous allons organiser quelque chose en commun. La mise en réseau permet d’échanger et d’avancer aussi sur les questions de diffusion et de promotion à l’international.
Quel est votre regard sur la jeune scène émergente dans le secteur de l’humour ? Est-il facile aujourd’hui de se faire un nom dans ce métier ?
Aujourd’hui, la jeune génération belge francophone a une culture dans le stand-up avec les codes qui lui sont propres. L’influence vient plutôt de l’autre côté de l’Atlantique, avec des influences américaines et aussi québécoises. Les faits de société sont différents, il y a aussi une grande ouverture sur le monde.
Si on regarde la nouvelle scène émergente, neuf fois sur dix, c’est du standup. On aurait parfois envie de leur faire découvrir autre chose et de jeter des ponts avec d’autres disciplines artistiques. Il manque parfois d’insouciance, notamment dans l’écriture. La Fédération organise ainsi des ateliers, par exemple autour du mouvement et de la théâtralité, afin que chacun puisse enrichir son art. Je suis persuadé qu’il est important de créer des ponts entre les différentes disciplines artistiques et de susciter la curiosité de ceux qui se lancent comme humoristes.
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Vous qui travaillez dans ce secteur depuis plus de 30 ans, pensez-vous qu’il existe un humour belge francophone ?
Plusieurs réponses sont possibles. La mienne ne sera sans doute pas la même que celles d’autres membres de la Fédération. Personnellement, j’ai toujours l’impression qu’il y a une spécificité à l’humour belge francophone qui n’est pas définissable. Le surréalisme à la belge est souvent mis en avant. Si je fais référence à une conversation que j’ai eue il y a quelques années avec Benoît Poelvoorde, il me confiait que cette référence l’irritait un peu. Pour lui, cela ne veut rien dire. Je pense qu’il n’avait pas tort, cela ne veut pas dire grand-chose. Cependant, il y a quand même quelque chose d’indéfinissable qui nous rend différents des Français ou des Suisses par exemple. Il y a une forme d’auto-dérision à propos de l’artiste. Le Belge ne craint pas de se foutre de sa propre tête. Il se prend moins au sérieux. Je pense qu’il existe une forme de distance qui est vraiment belge et dont nous devons être fier.
Mais, les jeunes d’aujourd’hui ne partagent pas toujours cette vision, il y a un changement dans l’humour. Leurs références sont souvent ailleurs. Par exemple, pour la génération montante des humoristes, Guillermo Guiz est un modèle, non parce qu’il est belge mais parce qu’il est talentueux et qu’ils aiment sa façon de voir les choses. Alors que moi, je vois une vraie belgitude chez lui, quelqu’un qui ne se prend pas au sérieux. En fait, c’est un stand-upper qui a quelque chose de belge. J’espère surtout que cet esprit durera encore longtemps.
À noter, Les Frères Taloche et Cécile Djunga étaient récemment en spectacles les 16 et 18 août derniers à Québec et Montréal, dans le cadre de l’événement ComediHa !
Pour aller plus loin… Deux témoins, deux retours d’expérience
Sarah Lélé
Belge d’origine camerounaise, Sarah a commencé le stand-up très tôt, dès l’école secondaire. À 21 ans, elle mène aujourd’hui de front une carrière artistique et des études en Droit et en Sciences Po à l’Université UCLouvain - Saint-Louis.
« Pour moi, l’humour est avant tout un formidable moyen d’expression. On peut rire de tout mais il faut le faire d’une manière appropriée. Je m’intéresse à ce qui touche à la multiculturalité et les relations internationales me passionnent. Au niveau des Turbulences belges à Paris, cela s’est super bien passé mais à mes yeux, la capitale française n’est plus un must car la scène belge est aujourd’hui incroyable et dynamique. Cela reste cependant très important de confronter mes textes partout où je le peux et de me produire ici et à l’étranger. J’apprends encore beaucoup et je vois qu’il faut parfois s’adapter et adopter d’autres postures devant certains publics. A Paris, il faut arriver avec assurance et se lancer. (rires)
À Kinshasa, l’expérience était unique. Avec nos homologues congolais, on a appris à voir où nos humours se croisent et où ils divergent. De ces échanges naît aussi une amitié. Je sais aujourd’hui que je souhaite me produire en Afrique, c’est un public que j’ai envie de conquérir. » Instagram.com/sarah.lele
Mehdi BTB
Stand-upper, chroniqueur sur Tarmac (RTBF) et BX1, mais aussi consultant financier et diplômé d’une école de commerce, Mehdi BTB jongle merveilleusement avec ses multiples casquettes. En 2020, il remporte le titre convoité de « Next prince of comedy » du King’s Comedy Club, précédemment décerné à Guillermo Guiz, Laura Laune et Fanny Ruwet.
« Participer à l’opération des Turbulences a été une vraie opportunité. Cela m’a permis de me professionnaliser encore davantage et d’appréhender des publics différents de ceux qu’on connaît ici à Bruxelles. Kinshasa, c’était un saut dans l’inconnu, nous avons été vraiment challengés. Les artistes congolais ont une technique assez impressionnante. Moi qui connais moins l’univers du théâtre, j’ai découvert certains aspects de cette discipline comme la mise en scène, etc. C’était un chouette apprentissage au niveau des soft skills : s’adapter à l’environnement, écrire de nouveaux textes pour le public kinois, qui a fait preuve d’une vraie curiosité. L’expérience était intense et énergivore. À Paris, nous étions davantage en terrain connu mais il fallait aussi convaincre... Le public parisien arrive plutôt les bras croisés, se demandant ce que vont produire les jeunes talents belges. C’était aussi professionnellement parlant très intéressant. » Instagram.com/mehdibtb
— Reprise de l'article de Emmanuelle Dejaiffe, parut dans la revue W+B #164
► Retrouvez tous les détails de ce 164e numéro sur le site de Wallonie-Bruxelles International : « De Paris à Kinshasa, voyage en zone de turbulences belges »
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